Qu’est-ce que le luxe?

Qu’est-ce que ce fameux luxe?

Entre les marques, leurs égéries et leurs vitrines opaques, il existe ce qu’on appelle le vrai gros luxe, celui qui se définit par le prix, l’exclusivité et l’auréole de rareté.

Par ricochet, on en vient à dire que l’artisanat est lui aussi un luxe, parce qu’il coûte plus cher qu’un produit de grande surface.

Mais voilà une nuance : on entend souvent que la céramique artisanale est un luxe qu’on peut ou pas se permettre. Or, derrière chaque pièce, il n’y a pas de jet privé ni d’actionnaires, il y a des comptes bancaires fragiles et des artistes qui cherchent constamment à équilibrer revenus et dépenses. On est pas dans « La Bohème » d’Aznavour, et avec nos familles, nous ne dormons pas à même le sol froid d’un grenier français…on le vit de façon moins romancée et on est plus dans le pragmatisme et dans les calculs de rentabilité.

Le problème avec cette affirmation, c’est que l’artisanat se retrouve coincé dans une drôle de catégorie : perçu comme un “luxe”, alors qu’il est rarement synonyme d’opulence pour celles et ceux qui le portent.

Pendant que les grandes compagnies affichent des profits records et des vitrines dorées, leurs actionnaires se partagent des dividendes que personne ne voit venir, pas plus qu’on ne voit les mains qui fabriquent, assemblent, emballent. Le “luxe” s’y vend comme une promesse, mais il repose souvent sur des conditions de travail opaques, parfois indécentes.

Dans les ateliers d’art, c’est une autre histoire : on compte les heures, les factures, les commandes. On fabrique avec ce qu’on a, et on s’épuise parfois à rendre le beau accessible, à faire tenir debout des métiers qui ne roulent pas sur l’or mais sur la passion.

Alors non, le luxe n’est pas là où on croit.
Il est dans la lumière des ateliers, dans la fatigue des mains, dans la beauté obstinée de celleux qui créent encore, malgré tout.

À l’opposé du luxe industriel, il existe pourtant un luxe réinventé : celui de la lenteur, de la singularité et de la proximité humaine. Tenir une tasse façonnée localement, c’est avoir en main le contraire du luxe standardisé, ce n’est pas un logo populaire, mais une présence. Ce luxe-là ne se mesure pas en dollars, mais en liens!

Il serait hypocrite d’oublier la vraie pauvreté. Celle qui ne se règle pas par un cappuccino dans une tasse artisanale. Celle des corps privés de soins, des foyers vides, des foyers absents, des existences fracturées par la misère et la violence. C’est elle qui nous oblige à rester lucides et humbles dans nos discours.

Alors à quoi sert de parler de luxe quand on fait de la céramique? À rappeler que l’artisanat peut être un miroir. Non pas une solution magique aux injustices, mais une brèche sensible, un rappel qu’avant le profit, devrait se placer la dignité, un toit, la santé, la paix, les moyens pour vivre, la pratique artistique sécure.

Et si nos gestes artisanaux, si modestes soient-ils, pouvaient au moins porter cette mémoire?

J.

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