Naviguer entre gestion et passion

Quand on dirige un studio de poterie, est-ce qu’on arrête un jour de s’émerveiller devant les créations des autres ? Je ne pense pas. Certes, l’habitude s’installe, les journées s’enchaînent avec leur lot de gestion, de courriels, de commandes à passer et de fours à surveiller, remplir, vider et nettoyer. Mais il y a toujours cet instant où une pièce surprend, où une texture capte la lumière d’une manière inattendue, où une personne découvre enfin le geste qui lui manquait. L’émerveillement change peut-être avec le temps, mais il ne disparaît pas.

Je me pose souvent la question : comment les autres gestionnaires de studios vivent-ils cette réalité ? Ce qu’ils ont construit, ces espaces où l’argile circule de main en main, où des débutant.e.s et des céramistes aguerris se croisent, qu’est-ce que cela représente pour eux ? Ont-ils parfois le sentiment de faire une différence, d’offrir quelque chose qui va au-delà de la poterie elle-même ?

Et puis, il y a cette autre facette dont on parle moins : celle de la création mise en veilleuse. Lorsqu’on consacre son temps à faire tourner un studio, à répondre aux besoins des autres, à faire en sorte que tout fonctionne, reste-t-il assez de place pour nos propres envies de créer ? Trouver l’équilibre entre la gestion et la pratique artistique est un défi. Certains y arrivent, d’autres acceptent de sacrifier une part de leur production pour nourrir celle des autres. Mais est-ce un choix, ou une nécessité imposée par la réalité du métier ?

Le mot "sacrifice" peut sembler fort, mais je pense plus à un genre de glissement, souvent progressif. Ce sont ces journées où l’on s’installe devant son propre tour avec l’intention de créer, mais où une question urgente d’un.e membre/ élève ou un imprévu logistique nous détourne. C’est voir les autres expérimenter et évoluer, pendant que notre propre travail reste en suspens, parfois oublié dans des cahiers plein d’idées, de griffonnages et de croquis.

Ce n’est pas une souffrance, ni un regret amer, mais un équilibre délicat entre ce que l’on donne et ce que l’on garde pour soi. Il y a une beauté dans cet échange : enseigner, gérer, accompagner, c’est aussi influencer. Nos gestes se transmettent, nos conseils façonnent des œuvres que nous ne créerons jamais, mais qui portent, d’une certaine façon, notre empreinte.

Peut-être que notre créativité ne disparaît pas, mais qu’elle se transforme en une autre forme de production : celle d’un lieu vivant, d’une atmosphère propice à la découverte. Certains, trouvent leur satisfaction dans cette dynamique, dans la joie de voir les autres s’épanouir grâce à l’espace qu’ils ont bâti. D’autres ressentent, parfois, une frustration sourde, celle de ne plus avoir le temps ni l’énergie pour plonger dans l’argile comme avant. Pour ma part, je me reconnais dans ces deux modèles, et la prédominance de l’un des deux varient autant que les jours dans une année.

J’aimerais entendre ces voix, celles des personnes qui tiennent ces lieux vivants. Qu’est-ce qui les fait vibrer dans leur studio ? Quels moments leur rappellent pourquoi ils ont choisi ce chemin ? Et, parfois, trouvent-ils-elles cela difficile ?

À toutes les belles personnes de l’atelier et des cours qui composent mes semaines, merci d’être là.

À toutes les personnes qui gèrent des ateliers, j’espère pouvoir échanger avec vous un beau jour!



J.


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Avant de façonner l’argile, on façonne l’accueil!